Créer un paysage de couleurs et de sons

Bette rouge, curcuma, paprika doux

De mai à décembre 2025, Marie-Rose et Virginie ont conçu des ateliers artistiques sur mesure pour les bébés et les tout-petits des crèches De Hummeltjes, De Speelboom et Schobbejakske. Marie-Rose : « Pour chaque crèche, nous avons organisé quatre séances : trois à la crèche et une quatrième au Centre Socio-culturel Everna, car nous souhaitons aussi emmener enfants et accompagnateurs vers des lieux culturels stimulants à l’extérieur.

Chaque séance occupait toute la matinée, préparation et rangement compris. L’atelier proprement dit avec les enfants durait environ trois quarts d’heure. Virginie : « Cela correspond à la capacité d’attention de la plupart des enfants. Mais parfois, c’est le contraire : certains n’en ont jamais assez et sont même tristes quand l’atelier se termine. »

Les artistes utilisaient pour ces ateliers des peintures naturelles à base de betterave rouge, curcuma, paprika doux, coquille de noix… Virginie : « Nous préparions la peinture fraîche à la crèche, ce qui prenait un certain temps. À l’avenir, nous voudrions la réaliser en présence des enfants, car il est enrichissant de voir comment les épices deviennent des couleurs. »

Marie-Rose : « Après avoir vidé l’espace et retiré tous les stimuli inutiles, nous avons créé notre propre scénographie. Avec de grandes bandes de tétra-brik, nous découpions et collions notre tapis de performance adapté à l’espace. Nous le réutilisions à chaque séance. Ainsi, nous avons créé un véritable patchwork de peinture et de ruban adhésif, sur lequel les enfants de différentes crèches ont laissé leur empreinte. »

Lumières éteintes, projecteurs allumés

Dès que l’espace était prêt et que la peinture avait été préparée avec de l’eau chaude —afin de ne pas être trop froide pour le corps des bébés et des tout-petits — la performance pouvait commencer.

Avec des sons doux de pincement, d’agitation, de trompette, de flûte et de frottement, Marie-Rose créait à chaque fois un paysage sonore unique. Elle utilisait pour cela le matériel à disposition : papier, accessoires de peinture, sa voix… Parfois aussi une flûte à bec ou un extrait audio préenregistré. Virginie : « Lors d’une des séances, nous avons laissé une bande de papier dévaler la salle de peinture comme une cascade. Cela ajoutait une dimension spatiale supplémentaire sur laquelle nous projetions la peinture façon Action Painting. Cela donnait aussi une touche supplémentaire au paysage sonore. »

Virginie : « Sur les douces mélodies de Marie-Rose, j’ai commencé à peindre. Nous étions assis en cercle, les pots de peinture disposés autour de nous. J’ai pris un de mes pinceaux faits maison, par exemple un sachet perforé dans lequel on vend les mangues, trempé dans la peinture, puis laissé quelques traces sur le papier à ma guise. J’ai commencé petit, quelques coups de pinceau sur une feuille blanche, puis j’ai introduit progressivement les différentes peintures et nuances. »

Magie

Marie-Rose : « Et là, on voit la magie opérer : une fois que les enfants, les accompagnateurs, les parents trouvent leur rythme, les couleurs et les sons font le reste. Les enfants se sont mis en mouvement ; certains plus vite que d’autres, mais c’est tout à fait normal. Ils ont barbouillé, étalé, frotté, éclaboussé, et les accompagnateurs fredonnaient ou chantaient, soutenaient les enfants ou peignaient avec eux.

Les doigts, les mains, les bras, les pieds étaient de la partie, tout le corps pouvait se transformer en pinceau. » Virginie : « Il existe assez d’accessoires de peinture adaptés aux enfants pour ceux qui ne veulent pas se salir : chaussettes d’enfant avec une éponge cousue sous la semelle, rubans, morceaux de vieux vêtements que j’ai transformés en tampons… »

Virginie : « Au rythme de la musique, mes gestes devenaient de plus en plus amples, comme une mer qui s’agite ; je me levais, trempais mes pieds dans la peinture, peignais avec plus de force et d’élan, traçais des traits bruts sur le papier. Les enfants aussi commençaient par de petits gestes prudents sur une feuille, puis se donnaient à fond avec mains et pieds dans tout l’espace. » Marie-Rose : « C’est comme si nous faisions ensemble un voyage, qui commence calmement et s’emballe en cours de route, jusqu’à ce que nous terminions ensemble, plus doucement ou plus intensément. » Virginie : « À ce moment-là, il n’y avait souvent plus de peinture, ou certains enfants avaient discrètement terminé. Cela se passait toujours de façon très intuitive. »

Tout et tout le monde, couverts de peinture

Virginie : « Nous avons demandé aux parents de venir avec des vêtements qui pouvaient être salis, pour eux et leurs enfants. Après l’activité, les enfants étaient lavés et recevaient des vêtements propres. » Marie-Rose : « Tous les enfants ou accompagnateurs n’avaient pas toujours envie de se salir. Mais cela fait partie du jeu, et il ne faut pas sous-estimer l’impact du regard ; même ceux qui restent sur le côté sont immergés musicalement et visuellement. »

Virginie : « Par expérience, nous savons qu’en tant qu’artiste, il faut savoir être flexible. Chaque jour est différent, chaque enfant n’a pas toujours envie de participer, tous les accompagnateurs ne sont pas toujours aussi enthousiastes. » Marie-Rose : « Nous avons ainsi appris qu’une bonne dynamique et un atelier agréable dépendent de l’énergie et de l’intensité que nous y mettons. Nous nous voyons comme des artistes de performance, où les enfants et accompagnateurs sont à la fois public et participants ; plus nous nous adaptons les uns aux autres, plus il est facile d’impliquer activement le public. De cette façon, les enfants deviennent aussi des artistes de performance, qui déterminent avec nous la direction à prendre ; un cri d’enfant fait partie du paysage sonore, un coup de pinceau influence le processus et le résultat. »

Inspiration pour la pratique artistique personnelle

Virginie et Marie-Rose débordent d’idées et souhaitent poursuivre leur travail avec les tout-petits. Marie-Rose : « Nous aimerions réaliser une performance avec des bébés et des tout-petits, comme nous le faisons déjà, mais cette fois avec un public uniquement observateur. » Virginie : « Nous réfléchissons aussi à la manière d’agrandir et de renforcer l’aspect spatial et sensoriel du paysage pictural, par exemple en projetant simultanément une captation en direct de l’atelier sur le plafond. »

Marie-Rose : « Nous rêvons aussi d’une publication, avec des œuvres d’art réalisées par les tout-petits. La scène de l’art contemporain, contrairement aux arts de la scène par exemple, n’a pas encore adopté l’art avec les tout-petits. Les artistes qui travaillent avec les tout-petits ne sont souvent pas pris au sérieux, on considère cela comme un projet annexe. Alors que c’est peut-être justement le vrai travail ? »

Virginie : « Créer de l’art avec les tout-petits demande beaucoup d’énergie, mais cela donne aussi énormément. Parce que cela se passe dans l’instant : on observe les petites actions et on est très conscient de tout ce qui se passe autour de soi. Cela apaise, inspire, et enrichit. À la fin d’une session artistique, nous sommes épuisées et en même temps pleines d’énergie. La spontanéité des enfants qui s’épanouissent pleinement, leurs réactions intuitives, leur curiosité, leur spontanéité… Tout cela crée la véritable magie. »