Interview | Leen De Spiegelaere et Valerie Vernimme
Stephanie Lemmens
Leen De Spiegelaere est coordinatrice générale de Zinneke asbl et enseignante à la haute école Odisee. Valerie Vernimme assure la coordination administrative du Kaaitheater. Toutes deux étaient jusqu'à récemment membres du conseil d'administration de Lasso. Le 11 septembre 2025, elles ont fait leurs adieux au conseil après trois mandats. Dans cette double interview, elles reviennent sur près de vingt ans à « bien tenir la maison » chez Lasso, comme elles le décrivent avec beaucoup de passion.
© Photo Valerie: Sepideh Farvardin
Les débuts
Lasso est né en 2006 dans le giron du Brussels Kunstenoverleg (BKO), qui s’appelait alors « Réseau bruxellois pour l’éducation artistique et la médiation des publics ».
Leen est engagée en 2007 comme première collaboratrice de projet chez Lasso. Un an plus tard, elle échange ce poste pour celui de coordinatrice chez BKO. Leen (sourit): « Le nombre de personnes qui ont commencé chez Lasso et ont ainsi trouvé leur voie dans le secteur bruxellois de l’éducation permanente ne se compte pas sur les doigts d’une main. » Leen continue à suivre Lasso de près et devient présidente en 2016, moment où l’organisation acquiert sa propre structure juridique.
Lasso était au départ surtout connu dans le secteur néerlandophone des arts et de la culture à Bruxelles, mais au fil des années, le nombre de secteurs avec lesquels il collabore s’est énormément élargi. Aujourd’hui, Lasso est soutenu tant par le secteur du bien-être, de la jeunesse, du travail socioculturel que de l’enseignement.
- Valerie
Du conseil d’administration du BKO, Valerie devient également administratrice chez Lasso : « En tant que collaboratrice administrative au Kaaitheater, j’y ai vu une belle opportunité : contribuer à une organisation dont la mission différait fortement de mon quotidien, mais où mon expertise pouvait jouer un rôle précieux. »
Un centre de connaissances et de réseau intersectoriel
Leen raconte comment Lasso a été fondé à l’époque du chèque culture et suite au constat que celui-ci ne touchait pas le public le plus précaire. Leen : « Lasso a alors placé les travaux d’innovation de la participation culturelle au cœur de ses activités. »

Valerie : « Lasso était au départ surtout connu dans le secteur néerlandophone des arts et de la culture à Bruxelles, mais au fil des années, le nombre de secteurs avec lesquels il collabore s’est énormément élargi. Aujourd’hui, Lasso est soutenu tant par le secteur du bien-être, de la jeunesse, du travail socioculturel que de l’enseignement. » Selon Valerie, le site web de Lasso reflète aussi cette évolution : « Il est devenu plus diversifié et s’adresse à un public large de plus en plus large. »
Valerie : « À ses débuts, Lasso réalisait principalement des projets ad hoc. Aujourd’hui, son fonctionnement repose sur des parcours pérennes et de longue durée, avec une attention croissante à l’accumulation et au partage des connaissances. » Valerie et Leen sont unanimes : en dix-neuf ans, Lasso est passé d’une petite organisation axée sur les projets à un centre urbain à part entière, dédié au partage des connaissances et à la mise en réseau.
Quelques projets marquants
Leen : « Lasso cherche des formules partageables. Souvent, une phase pilote est mise en place pour tester avec ses partenaires ce qui fonctionne ou non dans la pratique. » Lasso garde ainsi le doigt sur le pouls d’une société en constante évolution, confirment Leen et Valerie. Valerie : « Lasso est tout sauf une organisation figée, elle évolue toujours avec les besoins des secteurs avec lesquels elle collabore. » Valerie évoque le projet récent CultuurClub Plus, qui travaille sur la participation culturelle dans les centres de soins : « Une nouvelle génération de personnes âgées attend davantage en matière d’art et de culture, et Lasso est parmi les premiers à monter un projet innovant sur ce sujet. »

Leen et Valerie considèrent Move It Kanal comme l’un des projets les plus marquants de Lasso. Valerie : « Par son ampleur, sa durée et son public cible – des jeunes de douze à dix-huit ans dans la zone du canal bruxellois – ce fut un projet particulier. De plus, Lasso a collaboré pour Move It Kanal avec des partenaires de part et d’autre de la frontière linguistique, ce qui a donné une énorme impulsion à son réseau. »
La force de Lasso – le fait de collaborer au-delà des secteurs – est aussi son point faible. Il n’existe aucun poste ministériel où tous ces secteurs sont regroupés, ce qui rend Lasso dépendant de plusieurs domaines politiques.
En matière de participation culturelle des personnes en situation de handicap ou des plus jeunes, Lasso accomplit également un travail pionnier, selon Leen et Valerie. Elles citent des projets en cours comme Art Inclusive et Explo Labo. Valerie : « Surtout pour une maison de la culture, on se retrouve vite dans un débat polarisant quand on veut toucher tout le monde. Heureusement, Lasso parvient toujours à inclure différents groupes et à être une voix cruciale dans ce débat. »

Lasso crée aussi des outils concrets que les partenaires peuvent intégrer dans leur fonctionnement. Leen évoque entre autres Babbelart, un jeu de plateau pour dialoguer sur l’art et la culture avec différents publics : « Un outil que j’utilise aussi régulièrement comme enseignante à Odisee, et qui mériterait d’être davantage connu. »
Des fondations durables, à condition d’un soutien suffisant
Leen : « Après Move It Kanal, Lasso disposait de moins de moyens et l’équipe a dû être réduite par la force des choses. Cela a coïncidé avec le déménagement vers la rue Gallait, où Lasso a trouvé un logement temporaire. » La présidente était alors très préoccupée par l’impact potentiel sur l’équipe et la dynamique interne. Leen : « Mais Lasso a tenu bon et a trouvé un nouvel élan. » Valerie : « Lasso sait toujours s’adapter à un contexte changeant et place les bonnes personnes au bon endroit, selon les besoins du moment. »
Comment continuer à motiver des organisations déjà surchargées à organiser des activités artistiques qui s’ajoutent souvent à leur fonctionnement régulier ?
- Leen De Spiegelaere
Les anciennes administratrices souhaitent à l’organisation une plus grande sécurité financière. Leen : « L’équipe est incroyablement créative pour imaginer de nouveaux projets et atteindre de nouveaux publics. Mais parfois, les lignes tracées s’interrompent trop tôt, faute d’une base financière durable suffisante. » La force de Lasso – le fait de travailler au-delà des secteurs – est aussi sa faiblesse. Valerie : « Il n’existe aucun poste ministériel qui regroupe tous ces secteurs, ce qui rend Lasso dépendant de plusieurs domaines politiques. Lasso construit des fondations durables, mais à cause de la grande part de subsides dans le financement des projets, elle ne peut parfois pas aller suffisamment en profondeur. »
La situation ne s’améliore pas, craint Leen : « Le tissu associatif bruxellois souffre du manque de moyens et de perspectives. L’envie de faire de la culture est là, mais comment continuer à motiver des organisations déjà surchargées à organiser des activités artistiques qui s’ajoutent souvent à leur fonctionnement régulier ? »
Source d’inspiration
Valerie et Leen ont essayé d’assumer leur rôle d’administratrices du mieux possible. Leen : « Nous avons tenté d’être une caisse de résonance pour Anja (la coordinatrice générale de Lasso, ndlr) et son équipe, sur les questions de gestion du personnel, de finances et d’autres sujets stratégiques. Des sujets sur lesquels nous avons souvent échangé – en réunion, en ligne et par téléphone. »

Ou alors, c’est Lasso qui a marqué les esprits des anciennes administratrices ? Leen : « Aux réunions avec Lasso, j’avais toujours mon carnet à portée de main. Tant le réseau dont dispose Lasso que ses idées inépuisables et ses projets forts ont toujours été pour moi une source majeure d’inspiration. » Valerie : « Je pensais que nous étions déjà très inclusifs au Kaaitheater. Grâce à Lasso, où une personne experte en inclusion travaille depuis bientôt deux ans, j’ai vraiment ouvert les yeux. »
Un dernier souhait
En 2026, Lasso soufflera ses vingt bougies. Que souhaitent les anciennes administratrices à l’organisation ? Leen : « Les projets chez Lasso se construisent toujours en dialogue avec les partenaires, l’équipe et le conseil d’administration. J’espère qu’elle pourra toujours garder cette approche, en tant qu’organisation en réseau. »
Valerie, à son tour, souhaite à Lasso de l’inspiration : « Lasso ne devrait pas toujours devoir réinventer la roue. Ce que Lasso fait est unique et résulte aussi de la complexité bruxelloise, mais il serait pertinent qu’elle puisse échanger plus souvent avec d’autres pratiques similaires, au niveau national et international. »


