
Street Art dans le quartier Anneessens
Stephanie Lemmens
Thomas travaille chez Hubbie, en tant que coordinateur du bénévolat et du travail communautaire. Antoine est un artiste qui a un faible pour les espaces publics. Ensemble, ils ont participé à une expérience d'art inclusif où les participant.e.s de Hubbie et les étudiant.e.s de l'Atheneum Brussel ont pu travailler sur le Street Art. La conteuse Stéphanie est allée à leur rencontre.
Un studio convivial et festif
Hubbie dispose d'un studio à 1000 Bruxelles, à proximité de leur centre d'activités situé de l'autre côté de la place Anneessens. C'est là que j'ai rendez-vous avec Antoine et Thomas, une heure avant le début de l'atelier parcours. Antoine vient d'être papa, ses petits yeux le trahissent, mais son enthousiasme n'en est pas moins grand. "L'atelier, c'est une leçon de lenteur", dit-il avant même que nous ne démarrions. "Il s'agit d'une douzaine d'ateliers qui ont lieu tous les vendredis après-midi pendant deux mois. À 14h, les gens de Hubbie arrivent, un groupe diversifié d'une douzaine de participants avec des handicaps intellectuels qui se réjouissent de créer en collaboration avec les élèves de l'Atheneum Brussel. Ils nous rejoignent entre 15h et 16h".

Pendant cette dernière heure, c'est un véritable défi pour Thomas et Antoine, de maintenir le groupe engagé de manière ouverte et ludique et de travailler ensemble sur une création artistique. Antoine : "Nous n'avons qu'une heure pour travailler sur le projet avec tout le monde, mais à ce moment-là, l'atelier est toujours particulièrement convivial et festif".
Je suis frustré de voir comment les personnes en situation de handicap sont cachées dans notre société, comme si elles étaient des éléments perturbateurs. Je veux pouvoir donner à ces personnes leur place dans la société.
- Thomas
J'ai hâte de découvrir comment l'atelier prend forme, mais je veux d'abord savoir qui sont Antoine et Thomas et, surtout, ce qui les amène ici. Antoine a suivi une formation en arts contemporains, vit et travaille à Bruxelles depuis 20 ans et est un artiste pluridisciplinaire : "Je fais des installations, des objets sonores, de l'artisanat et du dessin, mais j'écris aussi et je collabore régulièrement à des performances musicales." Antoine préfère les projets dans l'espace public et collabore souvent avec des organisations de l'éducation permanente, en organisant des ateliers et des expositions et en participant à des événements plus importants tels que la Zinneke Parade. "Ces dernières années, je me suis surtout concentré sur le Street Art, et plus particulièrement sur les collages." Antoine explique que cette forme d'art lui permet de dialoguer avec la société, d'intervenir et de s'approprier l'espace public, mais aussi de provoquer et de jouer : "L'espace public est le lieu où les gens se rencontrent, où il se passe des choses intéressantes, mais où il y a aussi des frictions."

Thomas a commencé comme éducateur chez Hubbie en 2009. En 2020, il est devenu chargé de mission et depuis 2024, il cumule cette fonction avec celle de coordinateur. "Lorsque j'ai organisé les camps pour les jeunes à l'âge de 17 ans, j'ai découvert qu'il existait également une offre pour les jeunes en situation de handicap. C'est la première fois que j'ai été en contact avec des personnes en situation de handicap. Cela m'a motivé à étudier les sciences de l'éducation et à me spécialiser dans l'orthopédagogie. C'est aussi la raison pour laquelle j'ai choisi Hubbie comme premier emploi." Depuis, son travail chez Hubbie est devenu une mission de vie : "Je suis frustré de voir comment les personnes en situation de handicap sont mises à l'écart dans notre société, comme s'il s'agissait d'éléments perturbateurs. Je veux pouvoir donner à ces personnes leur place dans la société". Selon Thomas, le fait de travailler avec des artistes et de descendre dans la rue avec ces personnes s'inscrit parfaitement dans cette optique.
Pas à pas vers l'inclusion et la co-création
Le projet d'atelier expérimental a commencé par une promenade dans le quartier en petits groupes, composés chacun de deux élèves et d'un.e participant.e de Hubbie. Antoine : "Les groupes devaient regarder attentivement autour d'eux, réfléchir à ce qu'ils trouvaient de positif et de négatif, à ce qui pourrait éventuellement être changé dans le quartier." Thomas : "Ce qui est ressorti immédiatement, ce sont les nombreux chantiers, les rues défoncées et les désagréments qui en découlent : le bruit, la poussière, les trottoirs non accessibles, les personnes en fauteuil roulant qui ne peuvent pas passer..." Lors de l'atelier suivant, les élèves et les personnes de Hubbie ont été invité.e.s à faire des dessins et à se mettre en scène en fonction de leurs impressions. Antoine me montre un dessin au crayon de l'un des membres de Hubbie en train de se faire renverser par un chariot élévateur, un incident heureusement fictif.
L'espace public est le lieu où les gens se rencontrent, où il se passe des choses intéressantes, mais où il y a aussi des frictions.
- Antoine
Antoine a ensuite travaillé à partir des dessins et des portraits photographiques des participant.e.s. Le résultat : de véritables figures de Street Art. "Dans la deuxième heure de l'atelier, nous découpons minutieusement les personnages pour qu'ils puissent être accrochés de manière ludique dans le quartier lors d'un prochain atelier. Et qu'ils prennent vie." Antoine insiste sur l'importance du découpage "méticuleux" : "Le simple fait de coller des feuilles carrées avec une figure dessus n'a que peu d'effet. Nous voulons que nos participant.e.s, à travers leurs dessins et leurs photos, prennent vie dans le quartier. Par exemple, l'un des personnages peut se balancer sur le rebord d'une fenêtre, comme s'il venait de sortir par la fenêtre. Un autre personnage regarde son smartphone et se heurte à un mur. Ou encore quelqu'un qui s'envole dans les airs avec son scooter."

"Aujourd'hui nous travaillons avec des bâtons de colle, la semaine prochaine nous irons en guérilla dans le quartier avec de la vraie colle à papier peint" dit Antoine avec un large sourire. Et Thomas d'ajouter : "Même si notre approche est plutôt bon enfant : on se promène, on sonne chez les gens et on discute avec eux, avec les participant.e.s et les étudiant.e.s de Hubbie, des possibilités qui s'offrent à nous". Il n'est pas certain que les dessins resteront longtemps en place, explique Antoine : "En soi, il ne s'agit pas d'une action durable, car nous travaillons avec du papier ordinaire et de la colle à papier peint. Les œuvres ont leur propre vie. Certaines peuvent disparaître le jour même, mais avec un peu de chance, elles peuvent aussi rester plusieurs mois. C'est ça le Street Art, et c'est très bien comme ça." Selon Antoine, les gens sont généralement très favorables à ces projets, car ils apportent quelque chose de positif au quartier. Thomas : "Quoi qu'il en soit, nous veillerons à impliquer au maximum le voisinage en organisant un vernissage festif, auquel nous invitons tout le monde !"
Un artiste sort les gens de leur routine quotidienne et les incite à s'arrêter, à regarder autour d'eux et à réfléchir à certaines choses.
- Antoine
Il faut en faire plus !
Thomas et Antoine ne tarissent pas d'éloges sur cette collaboration. Thomas explique que cela donne à Hubbie une occasion supplémentaire de faire participer ses employé.e.s à quelque chose d'amusant. "Nos collaborateurs choisissent toujours eux-mêmes s'ils veulent participer. Après la Zinneke Parade, ils ont répondu avec enthousiasme : plus de ça !" Travailler avec un artiste permet également de renforcer les liens et la réflexion, selon Thomas : "Un artiste sort les gens de leur routine quotidienne et les incite à faire une pause, à regarder autour d'eux et à réfléchir à certaines choses".

Thomas espère que les élèves garderont un bon souvenir de cet atelier et qu'iels se souviendront de la population de Hubbie de manière positive. "Enfant, je n'ai jamais été en contact avec des personnes en situation de handicap. J'ai l'impression que nous avions le réflexe de les cacher. Mais je crois au pouvoir de la rencontre et j'espère que nous faisons déjà un pas dans la bonne direction avec cet atelier". Thomas dit aussi combien il est agréable de voir comment les étudiant.e.s et les gens de Hubbie interagissent. "Aucune question - et les gens de Hubbie osent poser beaucoup les mêmes questions - n'est jamais trop difficile pour les élèves. D'une manière douce, gentille et chaleureuse, iels répondent toujours patiemment à toutes les questions. "Même les nombreux câlins sont toujours reçus avec beaucoup d'amour et de patience", ajoute Antoine.
Pour Antoine, c'était la première fois qu'il travaillait avec des personnes en situation de handicap, mais il n'a pas hésité une seconde lorsqu'on lui a posé la question. "En tant qu'artiste, je ne veux pas seulement créer moi-même, mais aussi guider les gens dans la création artistique. Le défi consiste principalement à trouver la bonne façon de toucher et de captiver les gens, ce qui, avec ce public, se fait principalement par des interventions simples, manuelles et ludiques. La grande valeur ajoutée du travail avec les gens de Hubbie, c'est qu'iels sont toujours enthousiastes. Il suffit de poser quelques feutres et crayons sur la table pour qu'iels se mettent immédiatement à dessiner". Antoine tient également compte des différences individuelles : "Une personne n'est pas l'autre. Certain.e.s se surexcitent plus vite, avec d'autres on peut travailler plus longtemps et plus en profondeur. Certain.e.s parlent facilement, d'autres sont plus introverti.e.s". Thomas souligne également l'importance d'accompagner les personnes en situation de handicap pas à pas et de les immerger dans un processus artistique. "La valeur ajoutée que nous, les compagnons de Hubbie, pouvons offrir ici est que nous connaissons bien les gens", dit-il.
J'ai l'impression que nous avions le réflexe de cacher les personnes en situation de handicap. Mais je crois au pouvoir de la rencontre et j'espère que nous faisons déjà un pas dans la bonne direction avec cet atelier.
- Thomas
L'enthousiasme ne manque pas
L'entretien est terminé et les collaborateur.trice.s de Hubbie entrent au compte-gouttes. "Les étudiants viennent aussi aujourd'hui ?” Avant même qu'Antoine et Thomas n'aient eu le temps d'accueillir tout le monde, la question est posée à plusieurs reprises. Les participant.e.s de Hubbie sont manifestement enthousiastes à l'idée de travailler à nouveau avec les étudiant.e.s. Mais iels doivent être patient.e.s, car iels n'arriveront que dans une heure. La patience, voilà un trait de caractère qu'iels ne maîtrisent pas tous. Les questions se succèdent, l'un d'entre eux vient fouiller dans le plateau qu'Antoine a posé sur la table, une autre participante étale le parcours de ses compagnons - Mickey et Minnie Mouse - sur la table devant eux.

Antoine et Thomas expliquent aux participant.e.s ce qui les attend aujourd'hui. Puis nous nous rendons ensemble au centre d'activités pour le premier exercice de collage. Cela ne prend pas beaucoup de temps et le groupe accroche avec enthousiasme les dessins et les figures. Lorsqu'il est presque trois heures, nous retournons à l'atelier pour attendre les élèves et leur professeur. Après que tout le monde a été longuement salué et embrassé par les gens de Hubbie, Antoine et Thomas rassemblent tous.tes les participant.e.s autour d'une table. Antoine déploie un rouleau de papier géant sur lequel figurent les illustrations de Street Art. De nombreux “ah” et “oh” suivent et chacun.e désigne son dessin ou son personnage. Thomas et Antoine donnent les dernières instructions et les ciseaux et crayons sont distribués. Le découpage et le coloriage peuvent commencer et l'atelier promet d'être encore une fois festif et plein d'ambiance.